Quelques cas…

Les cas présentés ici sont tirés du livre « La psychologie biodynamique. Une thérapie qui donne la parole à son corps ». Par François Lewin et Miriam Gablier. 

Quelques cas

Héloïse retrouve son potentiel

Héloïse vient consulter car elle ne peut presque plus rien faire. Elle arrive difficilement à marcher, le corps vrillé, l’épaule gauche enroulée et la jambe gauche traînante. Elle travaille dans la publicité, mais est en arrêt maladie.

Confiant dans la sagesse du noyau sain, le thérapeute écoute et suit les messages du corps d’Héloïse. À la première séance, il travaille en massage, en amplifiant doucement les déformations de son corps. Il enroule un peu plus l’épaule gauche, pour permettre aux muscles concernés de se relâcher. Héloïse sent alors que ce mouvement est celui qu’elle faisait pour se protéger lorsque son compagnon violent la brutalisait. À cette évocation, des sanglots forts se déclenchent. À la deuxième séance, toujours en massage, Héloïse se retrouve saisie de fortes ondulations du corps, comme un dauphin. Le thérapeute en donnant un appui sous ses pieds, lui permet de se faufiler comme un poisson. Elle se sent revivre sa naissance. À la quatrième séance, Héloïse déclare: «C’est bon, j’ai retrouvé mon équilibre.» Elle a pu reprendre son travail et vivre à nouveau.

Héloïse est passée, de manière presque miraculeuse, d’un état de handicap sévère, où les souffrances encaissées, puis incorporées l’empêchaient presque de se déplacer, à une liberté et à un potentiel retrouvés. Le noyau sain a conduit le processus de guérison, l’écoute et le soutien accompagnant du thérapeute ont permis les réparations des blessures enkystées. Héloïse a alors retrouvé son indépendance et sa joie de vivre.

Les orteils de Serge sont la clé

Serge est ingénieur. Il vient consulter parce que depuis deux ans, après la mort de sa mère, il a des symptômes corporels chaotiques pour lesquels les médecins n’ont pas d’explication. Scientifique de haut niveau, il explore ses symptômes comme on explore un phénomène dans un laboratoire. Mais il vient désespéré, car malgré toutes ses explorations, ni lui ni les médecins ne trouvent de moyens de diminuer ses troubles handicapants.

C’est un homme très maigre, la poitrine enfoncée, d’une intelligence vive et complexe, qui vit seul. Il dit avoir toujours été seul, même tout petit, se sentant comme un Martien sur la planète Terre. Lorsque le thérapeute lui demande comment est son rapport à l’autre, il répond: « L’autre? Qu’est-ce que c’est l’autre ? » Cet homme avait par ailleurs une pratique de méditation très poussée dans laquelle il accédait à des états de tranquillité et de bien-être importants.

Son état peut être résumé par un corps fou, un émotionnel atrophié, une intelligence sachant tout ramener à elle et une spiritualité non connectée au corps. Ainsi, sa spiritualité nous était peu utile et la discussion ne pouvait pas toucher ses convictions fondamentales parce que son intelligence brillante ramenait tout dans une vision du monde déjà élaborée. L’émotionnel aurait été dangereux, il restait le corps.

Le thérapeute cherche alors, en massage, à ouvrir le psychopéristaltisme de Serge afin qu’il puisse retrouver sa capacité de régulation et digérer ses désordres somatiques et par là même psychologiques. À la première séance, le stéthoscope n’émet pas de bruit, sauf lorsque le thérapeute masse les orteils de Serge. Il y a tout d’abord quelques bruits de feu, des crépitements, qui petit à petit se fluidifient. Le thérapeute décide alors de continuer à les masser pendant vingt minutes, laissant le ventre doucement glouglouter. À la deuxième séance, les bruits ne se déclenchent que lorsque le massage se porte sur les orteils et l’arrière de la tête. Par la suite, de séance en séance, le corps se laisse apprivoiser.

Pendant les six mois qui suivent, les symptômes de Serge continuent de se manifester, mais il éprouve beaucoup de bien-être pendant les séances. Après une interruption de quinze jours due aux vacances, Serge revient en disant: « Mon corps a manqué de vos mains.» 

C’est un grand progrès pour cet homme qui, au départ, ne ressentait aucun besoin ni lien avec l’autre. Au bout de quelques mois, les symptômes s’atténuent pour disparaître. Serge vit alors les états de tranquillité qu’il obtient dans sa pratique spirituelle, avec un ressenti nouveau et intérieur de bien-être chaleureux et de réconfort. Puis, un jour, il sent qu’ « un chemin vers l’autre est en train de s’ouvrir», car il a commencé à tisser une relation complice avec une femme rencontrée dans un groupe de méditation. Il commence alors à découvrir une ouverture du cœur qu’il n’avait jamais connue.

Hugo a du mal à suspendre les rideaux

Au fil d’un travail thérapeutique, Hugo est invité à prendre conscience de la mobilité de son corps. Il remarque qu’il a du mal à lever les bras. Il se souvient qu’effectivement, une fois où il devait aider sa femme à accrocher des rideaux, il avait trouvé particulièrement pénible de rester les bras en l’air plus de quelques minutes.

Le thérapeute l’invite à un travail de mise en situation dans lequel il s’allonge et lève les bras pour sentir ce que son corps est en train de lui dire. Hugo se laisse aller dans ses sensations et souvenirs, et se retrouve bébé dans son lit d’enfant, en train de lever les bras en appelant ses parents. Il sent qu’il a longtemps levé les bras mais qu’aucun des deux parents n’est venu le prendre et que la résignation a eu raison de cette demande. Il a dû «baisser les bras» et mesure combien son énergie a désinvesti ces parties-là.

Nous pouvons voir là un double mécanisme. La souffrance psychologique et relationnelle a créé une inhibition corporelle. Et cette inhibition corporelle a comme conséquence une difficulté et une résistance pour remettre en route ce mouvement qui devrait être naturel. Durant cette régression, le thérapeute présente son bras aux mains tendues de Hugo, lui permettant ainsi de s’en saisir avec force pour sentir qu’il obtient enfin ce contact des parents, comme tout bébé a besoin de le sentir.

Ce revécu du manque de réponse au besoin du bébé lui permet de voir combien ce qu’il avait perçu comme un désintérêt de la part de ses parents a eu d’impact sur sa vie affective. Ayant la mémoire que vouloir embrasser reste sans réponse, il avait aussi eu du mal à utiliser ses bras pour le contact. Récupérant cette fonction somato-psychique de pouvoir prendre et recevoir, « de récupérer ses vrais bras », il dira ensuite combien dans son couple il a pris un tout nouveau plaisir à prendre sa femme dans ses bras.

Claudette s’envole

Claudette se plaint de ne plus supporter son mari. Cependant, ils se sont séparés trois mois, et elle se sentait abandonnée. Alors elle est revenue, et elle s’aperçoit que son état de mal-être est le même, qu’elle soit avec lui ou sans lui. Elle ne sait pas quelle situation lui conviendrait.

Lorsqu’elle s’allonge lors de la séance, elle sent des agacements dans les jambes. Le thérapeute l’encourage à les laisser s’amplifier. Il vient une vibration comme un tremblement rapide. Le thérapeute reconnaît la qualité particulière de cette vibration, que l’on appelle «psycho-orgastique». Le thérapeute lui propose alors de plier les genoux en posant les pieds au sol, afin de permettre aux mouvements de prendre de l’ampleur et de se propager à tout le corps. Effectivement, la vibration gagne le ventre. Puis un rire inextinguible surgit des tripes de Claudette. Son bassin fait quelques sursauts en se soulevant. Encouragée par le thérapeute, elle le laisse monter et retomber, les épaules et les pieds au sol, comme les bébés le font quelquefois. Entre deux hoquets de ce rire incontrôlable, son corps bougeant tout seul sans effort, elle s’écrit: «Je vole!»

La semaine suivante, elle raconte combien tout lui paraissait lumineux. Sa situation était la même, mais c’est comme si elle avait enlevé des lunettes de soleil et qu’une joie sans raison la saisissait parfois.

Claudette a été traversée par l’énergie psycho-orgastique, qui est une énergie transpersonnelle qui peut permettre de soigner, d’être éclairé, de sentir la joie de vivre et l’amour universel. Il n’est pas rare que cela surgisse dans des périodes grises où rien n’est enviable, où la vie n’a pas de goût. Cette perte de projet laisse un espace vacant qui peut être rempli par cette énergie merveilleuse.

Voici encore un des paradoxes et des farces du vivant. C’est quelquefois en tombant au fond du trou, que l’on trouve le plus haut de nous-mêmes.

L’extase affole le cœur d’Angèle

Angèle, professeur de yoga, est envoyée chez un thérapeute biodynamique par son ostéopathe car elle a des symptômes cardiaques importants. Elle présente une couperose sur le visage montrant des troubles vasculaires. Ces troubles sont survenus après qu’elle a atteint pour la première fois le satori, une expérience de plénitude amoureuse pratiquée dans le yoga. Depuis, chaque fois qu’elle veut recontacter cet état, son cœur commence à palpiter très fort. Elle a l’impression d’être devenue allergique à l’extase.

Mariée, elle se dispute fréquemment avec son époux. Leur relation est très conflictuelle. Angèle se retrouve dans un dilemme douloureux. La possibilité d’accéder à un état de bonheur extatique est empêchée par une réaction corporelle d’affolement cardiaque qui la met en danger.

Le thérapeute travaille en massage, sur le grand dorsal, puis les triceps, afin de tirer l’énergie du bas du dos vers les avant-bras et les mains. Le grand dorsal est un muscle qui relie les lombaires directement aux bras, permettant à l’énergie instinctuelle des «tripes» de circuler sans surcharger le cœur. Le thérapeute insiste aussi sur un massage des doigts, appelé massage des sorties, pour ouvrir la circulation énergétique vers l’extérieur. Ainsi le thérapeute cherche à dévier l’afflux énergétique ascendant vers le cœur en offrant une dérivation.

Dès la deuxième séance Angèle a moins de pression au visage et constate combien ses symptômes cardiaques ont diminué. Le thérapeute continue les massages pendant quelques séances. Angèle, face aux difficultés relationnelles avec son époux, s’était réfugiée dans le contact transpersonnel de l’amour spirituel. Ceci ouvre dans le corps un chemin vertical de l’énergie entre la terre et le ciel qui passe par le cœur.

Mais le cœur ne peut pas prendre une telle charge si les fonctions de partage qui lui sont reliées ne sont pas ouvertes. L’amour a fondamentalement besoin de rayonner et pour cela de pouvoir passer par les bras. Ouvrir fortement le canal vertical alors que le conflit dans sa relation amoureuse l’empêche de partager cette énergie a créé une surcharge sur le cœur, qui est allé presque jusqu’à la crise cardiaque. Le travail du thérapeute a été tout d’abord symptomatique pour diminuer la charge cardiaque. Il a ensuite ouvert la possibilité de travailler sur ses difficultés relationnelles.

Marius retourne chez lui

Marius vient consulter parce qu’il se sent seul avec des difficultés à créer des relations intimes où il se sente exister. Il est voyant de profession. Les deux premières séances se passent très bien, Marius se relâche, la relation de confiance s’installe, il se sent pris en compte et vit des moments agréables et réparateurs.

À la troisième séance, il arrive catastrophé en disant: « Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Je n’ai plus la voyance directe, je dois utiliser les cartes ! » L’accueil inconditionnel du thérapeute a créé chez lui la possibilité de se poser, de pouvoir lâcher en confiance, ce qui lui a fait baisser la posture d’alerte qu’il avait développée depuis la tendre enfance. Un mouvement vers l’intérieur de lui-même a pu se faire progressivement. Mais cette intériorisation lui a fait perdre temporairement le contact avec ses antennes psychiques extérieures, développées dès petit comme un système de survie.

En effet, Marius a grandi dans un milieu chaotique et sans chaleur où il ne se sentait pas de place. Pour s’adapter à cet environnement peu sécurisant, il a dû extérioriser sa conscience au maximum pour comprendre ce qui se passait et anticiper certains événements violents.

Le travail thérapeutique lui a permis de réparer ce qu’il n’avait pas pu vivre petit enfant: se sentir en sécurité. Et dans ce processus, sa capacité de ressentir et de percevoir l’autre s’est trouvée diminuée pour un temps. Nous sommes tous comme Marius, les changements dans nos habitudes sont très souvent inquiétants et créent des résistances à un vrai changement.